Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/432

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en toute hâte. Rien ne me paraît plus pitoyable que d’invoquer la mort. Car si tu veux vivre, pourquoi souhaites-tu de mourir ? Si tu ne le veux plus, pourquoi demander aux dieux une faculté que dès ta naissance tu tiens d’eux ? Mourir un jour, quand tu ne le voudrais pas, voilà ton obligation : mourir dès que tu le voudras, voilà ton droit. Tu ne peux te soustraire à l’une ; tu peux saisir l’autre. Quel ignoble vœu j’ai lu ces jours-ci au début de l’œuvre d’un homme assurément fort disert : « Si je pouvais mourir au plus vite ! » Insensé ! tu désires ce qui t’appartient. Que tu meures au plus vite ! Est-ce que par hasard ces paroles auraient eu l’effet de te vieillir ? Sinon, que tardes-tu ? Nul ne te retient : fuis par où tu l’aimeras le mieux. Choisis dans la nature lequel des éléments tu chargeras de t’ouvrir une issue. Les trois grands principes où ce monde trouve ses moyens d’action, l’eau, la terre, l’air, sont à la fois sources de vie et agents de mort. Que tu meures au plus vite ! Mais cet au plus vite, comment l’entends-tu ? À quand l’ajournes-tu ? Il peut venir plus tôt que tu ne veux. Ton mot est d’un cœur pusillanime ; c’est le cri d’un désespoir qui vise à être plaint. Qui invoque la mort ne veut pas mourir. Demande aux dieux la vie, la santé ; si tu préfères la mort, elle a cet avantage qu’elle met fin à tous les souhaits53.

Voilà, cher Lucilius, les sujets à méditer ; voilà ce qui doit nourrir notre âme. Voilà la sagesse, voilà être sage au lieu de s’épuiser en subtilités creuses sur de vaines et puériles discussions. Le sort t’a mis en face de tant de problèmes ! Tu n’as pu encore les résoudre, et tu chicanes avec des mots ! Ô folie ! Quand le signal de combattre est donné, tu t’escrimes contre les vents ! Écarte ces fleurets, il te faut des armes de guerre54. Dis comment j’empêcherai que ni tristesse ni peur ne troublent mon âme, comment je la purgerai des secrètes convoitises qui lui pèsent. Trouve moyen d’agir. « La sagesse est un bien, être sage n’en est pas un ! » À la bonne heure : acceptons pour nous la négative ; que toute étude pour être sage devienne un objet de risée, et passe pour labeur prodigué en pure perte.

Que dirais-tu si tu savais qu’on se demande également si la sagesse à venir est un bien ? Car peut-on douter, je te prie, que les greniers ne sentent pas le poids de la prochaine moisson, que l’enfance n’éprouve en rien la vigueur ou les développements d’une adolescence qui n’est pas encore ? De quel secours est au malade une santé qui viendra plus tard ? En quoi l’homme qui court et qui lutte est-il refait par plusieurs mois de repos