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QUESTIONS NATURELLES.

qu’un miroir de ce genre, qui dénature en le reflétant le disque du soleil, puisse se former aussi dans un nuage ?

VI. À toutes ces preuves ajoutons que jamais l’iris ne forme plus d’un demi-cercle, lequel est d’autant moindre que le soleil est plus haut. Si Virgile a dit :

…Et l’arc-en-ciel immense
Boit l’eau des mers[1],


c’est quand la pluie est imminente ; mais il n’apporte pas les mêmes pronostics, sur quelque point qu’il se montre. Au midi il amène des pluies abondantes, que n’a pu dissiper le soleil dans toute sa force, parce qu’elles sont trop considérables. S’il brille au couchant, il y aura rosée et pluie fine. Paraît-il à l’orient ou à peu de distance de l’orient, il promet un temps serein. Mais pourquoi, si l’iris est un reflet du soleil, se montre-t-il beaucoup plus grand que cet astre ? Parce qu’il y a tel miroir dont la propriété est de rendre les objets bien plus considérables qu’il ne les voit, et de donner aux formes un prodigieux développement, tandis que tel autre les rapetisse. À votre tour, dites-moi pourquoi l’iris se courbe en demi-cercle, si ce n’est pas à un cercle qu’il répond ? Vous expliquerez peut-être d’où vient cette variété de couleurs ; mais cette forme de l’iris, vous ne l’expliquerez pas, si vous n’indiquez un modèle sur lequel il se dessine. Or, il n’en est pas d’autre que le soleil, auquel vous avouez qu’il doit sa couleur ; donc il lui doit aussi sa forme. Enfin, vous convenez avec moi que ces teintes, dont une partie du ciel se colore, viennent du soleil. Un seul point nous divise : vous croyez ces teintes réelles, je les crois apparentes. Réelles ou apparentes, elles viennent du soleil ; et vous n’expliquerez point pourquoi elles s’évanouissent tout d’un coup, tandis que toute vive couleur ne s’efface qu’insensiblement. J’ai pour moi cette apparition subite et cette subite disparition. Car le propre d’un miroir est de réfléchir l’objet non successivement, pièce à pièce , mais par un calque instantané du tout. Et l’objet n’est pas moins prompt à s’éclipser qu’à se dessiner : car pour qu’il paraisse ou s’évanouisse, il ne faut que le montrer ou l’ôter. L’iris n’est pas une substance, un corps essentiel du nuage ; c’est une illusion, une apparence sans réalité. En veux-tu la preuve ? L’arc s’effacera, si le soleil se voile. Qu’un second nuage, par exemple, intercepte le soleil, adieu les couleurs du premier. « Mais l’iris est quelque

  1. Géorgiq., I, 380,