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LIVRE III.

Il en est de même du Tigre en Orient ; la terre l’absorbe, et il se fait chercher longtemps ; ce n’est qu’à une distance considérable (et on ne doute pas que ce ne soit le même fleuve), qu’on le voit sortir de l’abîme. Certaines sources rejettent, à des époques fixes, les immondices qu’elles contenaient ; ainsi fait l'Aréthuse en Sicile, tous les cinq ans, au temps des jeux olympiques. De là l'opinion que l’Alphée pénètre sous la mer de l’Achaïe jusqu’en Sicile, et ne sort de terre que sur le rivage de Syracuse ; et que, pour cette raison, durant les jours olympiques, il y apporte les excréments des victimes qu’on a jetés dans son courant. Ce cours de l’Alphée, mon cher Lucilius, tu l’as mentionné dans ton poëme, toi comme Virgile, quand il s’adresse à Aréthuse :

Qu’ainsi jamais Doris aux bords siciliens
N’ose à tes flots mêler l’amertume des siens[1].


Dans la Chersonèse de Rhodes se trouve une fontaine qui, après qu’on l’a vue longtemps pure, se trouble et élève du fond à la surface quantité d’immondices, dont elle ne cesse de se dégager tant qu’elle n’est pas redevenue tout à fait claire et limpide. D’autres fontaines se débarrassent, par le même moyen, non-seulement de la vase, mais des feuilles, des tessons et de toute matière putréfiée qui y séjournait. La mer fait partout de même ; car il est dans sa nature de rejeter sur ses rivages toute sécrétion et toute impureté ; néanmoins, sur certaines plages ce travail est périodique. Aux environs de Messine et de Myles, elle vomit, en bouillonnant, et comme dans des accès de fièvre, une sorte de fumier d’une odeur infecte ; de là la fable a fait de cette île les étables des boeufs du Soleil. Il est en ce genre des faits difficiles à expliquer, surtout lorsque les périodes sont mal observées et incertaines. On ne saurait donc en donner une raison directe et spéciale ; mais, en général, on peut dire que toute eau stagnante et captive se purge naturellement. Car, pour les eaux courantes, les impuretés n’y peuvent séjourner ; le mouvement seul entraîne et chasse tout au loin. Celles qui ne se débarrassent point de cette manière ont un flux plus ou moins considérable. La mer élève du fond de ses abîmes des cadavres, des végétaux, des objets semblables à des débris de naufrage ; et ces purga-

  1. Virgile, Eglog., X, 4