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LIVRE VI.

ceux-ci ; à l’air, disent ceux-là ; quelques-uns admettent le concours de plusieurs de ces causes ; certains les admettent toutes. Enfin, on a dit qu’évidemment c’était l’une d’elles : mais laquelle ? On n’en était pas sûr. Passons en revue chacun de ces systèmes ; ceux des anciens, je dois le dire avant tout, sont peu réfléchis, sont informes. Ils erraient encore autour de la vérité. Tout était nouveau pour eux qui n’allaient d’abord qu’à tâtons ; on a poli leurs grossières idées, et si l’on a fait quelques découvertes, c’est à eux néanmoins que l’honneur en doit revenir. Il a fallu des esprits élevés pour écarter le voile qui couvre la nature, et, sans s’arrêter à ce qu’elle montre aux yeux, sonder jusqu’en ses entrailles et descendre dans les secrets des dieux. Ils ont beaucoup aidé aux découvertes en les croyant possibles. Écoutons donc les anciens avec indulgence ; rien n’est complet dès son début. Et cela est vrai non-seulement de la question qui nous occupe, si importante et si obscure, que, même après de nombreux travaux, chaque siècle trouvera encore à faire : mais, en quoi que ce soit, toujours les commencements sont loin de la perfection.

VI. Que l'eau soit cause des tremblements de terre, c’est ce qu’affirment divers auteurs et avec divers arguments. Thalès de Milet estime que le globe entier a pour support une masse d’eaux sur laquelle il flotte, et qu’on peut appeler Océan ou grande mer, ou élément jusqu’ici de nature simple, l’élément humide. Cette eau, dit-il, soutient la terre ; et l’immense navire pèse sur le liquide qu’il comprime. Il est superflu d’exposer les motifs qui font croire à Thalès que la partie de l’univers la plus pesante ne saurait porter sur une substance aussi ténue, aussi fugace que l’air : il ne s’agit pas maintenant de l’assiette du globe, mais de ses secousses. Thalès apporte en preuve de son système, que presque toujours les grandes secousses font jaillir des sources nouvelles, comme il arrive dans les navires qui, lorsqu’ils penchent et s’inclinent sur le flanc, sont envahis par l’eau ; toujours, s’il y a surcharge, l’eau vient couvrir le bâtiment, ou du moins s’élève à droite et à gauche plus que de coutume. La fausseté de cette opinion se démontre sans longs raisonnements. Si la terre était soutenue par l’eau, elle tremblerait quelquefois dans toute sa masse et toujours serait en mouvement ; ce ne serait pas son agitation qui étonnerait, mais son repos. Elle s’ébranlerait tout entière, non partiellement ; car ce n’est jamais la moitié seulement d’un navire qui est battue des flots. Or, les tremblements de notre terre ne sont pas univer-