Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/63

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Déjà j’imprimais le sceau sur ma lettre ; il faut la rouvrir pour qu’elle n’arrive pas sans le petit présent d’usage et qu’elle porte avec elle quelque mémorable parole. En voici précisément une dont je ne puis dire si elle est plus vraie qu’éloquente ; de qui ? demandes-tu ; d’Épicure ; j’en suis encore à faire les honneurs du bien d’autrui : « Il n’est personne qui ne sorte de la vie tel que s’il venait d’y entrer. » Prends le premier passant, jeune, vieux, entre les deux âges, tu trouveras chez tous même frayeur de la mort, même ignorance de la vie. Ils n’ont rien mené à fin : ils ont tout reporté sur l’avenir. Rien ne me paraît plus piquant dans le mot d’Épicure que ce reproche d’enfance fait aux vieillards : « Nous ne sortons pas de la vie, dit-il, autres que nous n’y sommes entrés ; » et il est au dessous du vrai : nous en sortons pires. C’est notre faute, ce n’est point celle de la nature. Elle a droit de se plaindre et de nous dire : « t Pourquoi murmurer ? Je vous ai engendrés purs de passions, purs de craintes, de superstition, de perfidie, de tous les poisons de l’âme : tels vous êtes venus, partez de même. Il a cueilli les fruits de la sagesse, celui qui meurt comme je l’ai fait naître, sans rien appréhender. » Mais nous, tous nos sens frémissent quand la crise approche ; le cœur nous manque, nos traits pâlissent, d’inutiles pleurs tombent de nos yeux. Ô honte ! les angoisses nous assiègent au seuil même de la sécurité. Et pourquoi ? C’est que vides de tous biens, le regret de la vie nous travaille encore ; c’est que la vie n’a laissé rien d’elle auprès de nous : elle a passé, elle s’est écoulée tout entière. Nul ne s’inquiète de bien vivre ; on cherche à vivre longtemps ; tandis que bien vivre est loisible à tous, et vivre longtemps à personne.


LETTRE XXIII.

La philosophie, source des véritables jouissances.

Tu attends que je te mande à quel point l’hiver en a usé doucement avec nous, cet hiver court et tempéré ; si le printemps est avare de beaux jours ; si le froid ne dément pas la saison, et autres futiles propos de gens qui cherchent à parler. Eh bien non : j’entends que toi et moi nous profitions de ce que je vais