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FRAGMENTS DE SÉNÈQUE


tume de le dire ; nous le sommes toujours, avec cette différence que nous jouons plus cher[1].

XI. Nous refuserons-nous à louer Dieu, parce que sa vertu est dans sa nature ? En effet, il ne l'a apprise de personne. Oui certes, nous le louerons : car bien que sa vertu soit dans sa nature, c'est lui qui se l'est donnée, puisque la nature c'est Dieu lui-même.

XII. La philosophie n'est autre chose qu'un droit système de vie, ou bien, la science de vivre honnêtement, ou, l'art de suivre dans la vie le droit chemin. Nous ne nous tromperons point en disant que la philosophie est la loi qui nous fait bien et honnêtement vivre. Et qui la définirait la règle de la vie, lui donnerait son vrai nom.

XIII. La plupart des philosophes sont des hommes tels, que leurs belles paroles tournent à leur honte ; à les ouïr pérorer contre l'avarice, la débauche, l'ambition, on dirait que c'est eux-mêmes qu'ils dénoncent, tant rejaillissent sur eux les traits qu'ils lancent sur la société. Il convient de les comparer à ces charlatans dont l'enseigne annonce des remèdes, et dont les tiroirs n'offrent que poisons. Il est de ces philosophes que ne retient même pas la honte de leurs vices, et qui se forgent des apologies pour pallier leur turpitude, pour paraître même pécher honnêtement.

XIV. Le sage fera quelquefois ce qu'il n'approuvera point, si c'est un moyen d'arriver à un noble but ; il ne renoncera pas aux principes du bien, mais il les accommodera aux temps ; et ce que d'autres exploitent au profit de leur morgue ou de leurs plaisirs, il le fera servir au bien commun.... Tout ce que font les amateurs de magnificence, les ignorants, le sage le fera aussi, mais non de la même manière, ni dans les mêmes vues.

XV. Il n'y a pas encore mille ans que les principes de la sagesse sont connus.

XVI. La plus haute vertu à leurs yeux, c'est un grand courage ; et ces mêmes hommes tiennent pour frénétique celui qui méprise la mort, ce qui révèle en eux une profonde perversité.

XVII. L'homme vraiment honorable n'est pas celui que le bandeau royal ou la pourpre et une escorte de licteurs distinguent entre tous ; c'est celui qui, au niveau de toute situation, voit la mort à ses côtés sans en être troublé comme d'une chose nouvelle ; c'est celui qui, soit qu'il lui faille livrer aux

  1. Voir Constance du sage , XII.