Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/86

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souhaiter pour toi : et, après tout, un homme qui a traversé de si hauts postes doit rougir d’importuner encore les dieux. Qu’est-il besoin de vœux ? Fais-toi heureux toi-même ; et tu le seras, si tu reconnais pour vrais biens ceux qu’accompagne la vertu, et pour déshonnête tout ce à quoi la méchanceté s’allie. De même que sans un mélange de lumière il n’est rien de brillant, et rien de sombre s’il ne porte en soi ses ténèbres ou n’attire quelque obscurité : de même que sans l’auxiliaire du feu il n’est point de chaleur, et sans l’air point de froid ; ainsi l’honnête ou le honteux naissent de l’alliance de la vertu ou de la méchanceté.

Qu’est-ce donc que le bien ? La science. Qu’est-ce que le mal ? L’ignorance. L’homme éclairé dans l’art de vivre sait rejeter ou choisir, selon le temps. Mais il ne craint point ce qu’il rejette, il n’admire point ce qu’il choisit, s’il a l’âme grande et invincible. Je ne veux pas que la tienne fléchisse et s’abatte. Ne pas refuser le travail est trop peu : implore-le. « Mais quel est le travail frivole et superflu ? » Celui où t’appellent des motifs peu nobles. Il n’est pas mauvais par lui-même, pas plus que le travail consacré à de nobles choses, parce que c’est là proprement la patience de l’âme qui s’excite aux rudes et difficiles entreprises, qui se dit : « Pourquoi languir ? Est-ce à un homme à craindre les sueurs ? » Joins à l’amour du travail, pour que la vertu soit parfaite, une égalité de vie soutenue et conforme en tout à elle-même, accord impossible sans le bienfait de la science, sans la connaissance des choses divines et humaines. Voilà le souverain bien : sache le conquérir, et tu deviens le compagnon des dieux, non plus leur suppliant. « Comment, dis-tu, parvenir aussi haut ? » Ce n’est ni par l’Apennin ou l’Olympe, ni par les déserts de Candavie ; point de Syrtes, ni de Scylla, ni de Charybde à affronter, bien que tu aies traversé tout cela au prix d’une chétive mission. Elle est sûre, elle est pleine de charmes, la route pour laquelle t’a approvisionné la nature. Soutenu de ses dons, si tu n’y es pas infidèle, tu t’élèveras au niveau de Dieu. Or ce niveau, ce n’est pas l’argent qui t’y place : Dieu ne possède rien ; ce n’est pas la prétexte : Dieu est nu34 ; ce n’est ni la renommée, ni l’ostentation de tes mérites, ni ta gloire au loin répandue chez les peuples : nul ne connaît Dieu, beaucoup en pensent mal et impunément ; ce n’est pas non plus cet essaim d’esclaves qui vont portant ta litière par la ville et dans tes voyages : ce Dieu, le plus grand et le plus puissant des êtres, porte lui-même l’univers. Ni la beauté ni la