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LETTRES DE SÉNÈQUE

datez sa mort. — Cet autre est mort dans la fleur de l’âge ! — Sans doute, mais il a rempli tous les devoirs d’un bon citoyen, d’un bon ami, d’un bon fils ; il n’a jamais cessé de s’occuper utilement : quoique son âge soit imparfait, sa vie n’en est pas moins pleine et entière. L’autre a vécu quatre-vingts ans ! dites qu’il a été quatre-vingts ans sur la terre ! à moins que par aventure vous n’appeliez vivre, ce que j’appelle végéter comme les arbres.

Je vous en conjure, mon cher Lucilius, faisons en sorte que, semblable aux diamants les plus précieux, notre vie soit d’une grande valeur sous un petit volume : mesurons son étendue par nos actions, et non par sa durée. Voulez-vous savoir quelle différence il y a entre un homme plein d’énergie, qui méprise la fortune, qui, après avoir passé par toutes les épreuves de la vie, s’est élevé au souverain bien, et ce vieillard qui seulement a vu s’écouler beaucoup d’années ? L’un vit encore après sa mort ; l’autre n’était plus, même avant son décès. Louons donc, et comptons au nombre des hommes heureux celui qui a su mettre à profit le peu de temps qui était à sa disposition. Car il a vraiment vu la lumière ; il n’a pas été confondu dans la foule ; il a vécu ; il a eu la plus belle existence ; quelquefois il a eu des jours sereins ; quelquefois, comme il est ordinaire, l’éclat de sa brillante étoile ne s’est montré qu’au travers des nuages. Ne me demandez pas le nombre de ses années ! il a vécu ; il a prolongé sa vie jusque dans la postérité, et s’est assuré une place dans la mémoire des hommes.

Ce n’est pas à dire que je refuserais un surcroît d’années, mais je ne croirais pas qu’il manque rien au bonheur de ma vie, si l’on en abrège la durée. Je n’ai jamais compté sur le