Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/261

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qui veille au dehors pour observer la marche des passions et les empêcher de forcer les lignes du devoir : elle-même s’identifie avec la passion. Voilà pourquoi elle ne peut plus rappeler à son aide les forces utiles et salutaires que sa trahison vient de paralyser. Car, comme je l’ai dit, la raison et la passion n’ont point leur siège distinct et séparé : elles ne sont autre chose que l’âme, modifiée en bien ou en mal. Comment donc la raison, envahie et subjuguée par les vices qu’amène la colère, se relèvera-t-elle après sa défaite ? ou comment se dégagera-t-elle d’une alliance où domine la confusion du mal ?

« Mais, dit-on, certains hommes savent se contenir dans la colère. » Est-ce en ne faisant rien de ce qu’elle leur dicte, ou en lui obéissant en quelque chose ? S’ils ne lui cèdent rien, reconnaissez qu’elle n’est pas nécessaire pour mieux agir, vous qui l’invoquiez comme une puissance supérieure à la raison. Enfin, répondez : Est-elle la plus forte ou la plus faible ? Si elle est la plus forte, comment sera-t-elle modérée par la raison, l’obéissance n’appartenant qu’à la faiblesse ? Dans le cas contraire, la raison se suffit pour arriver à ses fins, et n’a que faire d’un auxiliaire qui ne la vaut pas.

« On voit, selon vous, des gens irrités ne point sortir d’eux-mêmes et se contenir. » Qu’est-ce à dire ? Oui : quand déjà la colère se dissipe et veut bien les quitter ; mais pendant son effervescence, non : elle est alors souveraine. « Mais encore, ne laisse-t-on pas souvent, même dans la colère, partir sain et sauf l’ennemi que l’on hait ? ne s’abstient-on pas de lui faire du mal ? » Qu’est-ce que cela prouve ? Lorsqu’une passion en repousse une autre, et que la peur ou la cupidité emporte la