Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/263

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obéir que commander ; et la raison n’acceptera jamais pour auxiliaires, les impulsions violentes, imprévoyantes, auprès desquelles son autorité n’est rien, et qu’elle ne peut jamais comprimer qu’en leur opposant leurs sœurs et leurs pareilles, comme à la colère la peur, à l’indolence la colère et à la peur la cupidité.

X. Épargnons à la vertu le malheur de donner à la raison les vices pour appui. Avec eux, point de calme sincère. Nécessairement flottante et à la merci des orages, n’ayant pour pilotes que les auteurs de sa détresse, ne devant son courage qu’à la colère, son activité qu’à la soif de l’or, sa prudence qu’à la crainte, sous quelle tyrannie vit notre âme, esclave qu’elle est de chaque passion ! N’a-t-on pas honte de mettre la vertu sous le patronage du vice ? Ce n’est pas tout : la raison n’a plus de pouvoir dès qu’elle ne peut rien sans la passion, dès qu’elle s’assimile et s’identifie à la passion. Où est la différence, quand celle-ci, livrée à elle seule, est aveugle, ou que sans la passion, celle-là est impuissante ? Tout est égal entre elles du jour où l’une ne peut aller sans l’autre. Or comment souffrir que la passion marche de pair avec la raison ? « La colère est utile, dites-vous, si elle est modérée. » Dites mieux : si sa nature est d’être utile. Mais indocile qu’elle est à l’autorité et à la raison, qu’obtiendrez-vous en la modérant ? Que, devenue moindre, elle nuise un peu moins. Donc une passion que l’on modère n’est autre chose qu’un mal modéré.

XI. « Mais sur les champs de bataille la colère est nécessaire. » Nulle part elle ne l’est moins. Là surtout il ne faut point d’ardeur déréglée, mais un courage tempéré par la discipline.