Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/266

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rera pas ! il ne tombera pas en défaillance ! Nous voyons cela chez les femmes, chaque fois que le soupçon du moindre danger les frappe ; mais le juste accomplit ses devoirs sans trouble et sans émoi : en agissant comme juste, il ne fait rien non plus qui soit indigne d’un homme de cœur. On veut tuer mon père ? je le défendrai : on l’a tué ? je le vengerai ; mais pour obéir à mon devoir, et non à mon ressentiment.

Quand tu nous opposes cet argument, Théophraste, tu veux décrier une doctrine trop mâle pour toi, et tu laisses là le juge pour t’adresser à la multitude. Parce que, dans des cas semblables, tous s’abandonnent à l’emportement, tu crois qu’ils décideront que ce qu’ils font on doit le faire : car presque toujours on tient pour légitimes les passions qu’on retrouve en soi. D’honnêtes gens s’irritent quand on outrage leurs proches ; mais ils font de même quand leur eau chaude n’est pas servie à point, quand on leur brise un verre ou qu’on éclabousse leur chaussure. Cette colère n’est donc pas tendresse, mais faiblesse de cœur : ainsi l’enfant pleure ses parents morts comme il pleurerait un jouet perdu. S’emporter pour la cause des siens est moins un dévouement qu’un manque de fermeté. Ce qui est beau, ce qui est noble, c’est de voler défendre ses parents, ses amis, ses enfants, ses concitoyens, à la seule voix du devoir, avec volonté, jugement et prévoyance, sans emportement ni fureur. Car point de passion plus avide de vengeance que la colère, et qui par là même y réussisse moins, tant elle se précipite follement ; semblable, au reste, à presque toutes les passions qui font elles-mêmes obstacle aux succès qu’elles poursuivent. Avouons donc qu’en paix comme en guerre la colère ne fut jamais bonne à rien. Elle rend la paix semblable à la guerre ; en face de l’en-