Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/268

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passions sont des stimulants honteux et passagers ; ils ne fortifient point la vertu, qui n’a que faire du vice, mais ils réveillent parfois, et pour un temps, un cœur lâche et poltron. La colère ne rend plus courageux que celui qui sans elle serait sans courage : elle ne vient pas comme aider le courage, mais le remplacer. Eh ! si la colère était un bien, ne serait-elle pas l’apanage de l’élite des humains ? Cependant les esprits les plus irascibles sont les enfants, les vieillards, les malades ; et tout être faible est naturellement querelleur.

XIV. « Il ne se peut, dit Théophraste, que l’honnête homme ne s’irrite point contre les méchants. » À ce compte, plus on a de vertu, plus on sera irascible. Voyons mieux les choses : ne sera-t-on pas au contraire plus calme, plus exempt de passions et de haine pour qui que ce soit ? Pourquoi haïrait-on ceux qui font le mal, puisque c’est l’erreur qui les y porte ? Il n’est point d’un esprit sensé de maudire ceux qui se trompent : il se maudirait le premier ; et, songeant combien il enfreint souvent la règle, combien de ses actes ont besoin de pardon, c’est contre lui-même que se tournerait sa colère. Un juge équitable ne décide pas dans sa cause autrement que dans celle d’autrui. Non, nul n’est assez pur pour s’absoudre à son propre tribunal ; et qui se proclame innocent, consulte plus le témoignage des hommes que sa conscience. Oh ! qu’il est plus conforme à l’humanité, de montrer à ceux qui pèchent des sentiments doux, paternels, de les ramener, au lieu de les poursuivre ! Si, ignorant de la route, un homme s’égare dans vos champs, ne vaut-il pas mieux le remettre dans la voie que de l’expulser ? Corrigeons les fautes en tempérant la gravité des peines par la douceur