Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/273

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elle ne respire d’abord que cruauté, que supplices inouïs ; et, lorsqu’il faut sévir, elle ne sait plus que mollir et céder.

La passion tombe en un moment ; la raison va d’un pas toujours égal ; du reste, même quand la colère a quelque durée, le plus souvent, bien que de nombreux coupables eussent mérité la mort, à la vue du sang de deux ou trois victimes, elle cesse de frapper. Ses premières atteintes sont mortelles, comme le venin de la vipère au sortir de son gîte ; mais, en se répétant, ses morsures épuisent bientôt leur malignité. Ainsi, près d’elle, les mêmes crimes ne subissent pas les mêmes peines, et souvent la plus grave est pour la moindre faute, exposée qu’elle est à la première fougue. Inégale dans toute son allure, ou elle va au delà de ce qu’il faut faire, ou elle reste en deçà : elle se complaît dans ses excès, juge d’après son caprice, sans vouloir entendre, sans laisser place à la défense, s’attachant à l’idée dont elle s’est préoccupée, et ne souffrant point qu’on lui ôte ses préventions, quelque absurdes qu’elles soient. La raison accorde à chaque partie le lieu, le temps convenables ; elle-même, elle s’impose des délais pour avoir toute latitude dans la discussion de la vérité. La colère fait tout en courant ; et quand la raison cherche à décider ce qui est juste, elle, au contraire, veut qu’on trouve juste ce qu’elle a décidé. La raison n’envisage que le fond même de la question ; la colère s’émeut pour des motifs puérils autant qu’étrangers à la cause. Un air trop assuré, une voix trop ferme, des assertions tranchantes, une mise recherchée, un cortège d’assistants trop imposant, la faveur populaire, vont l’exaspérer. Souvent, en haine du défenseur, elle condamne l’accusé ; vainement la vérité éclate à ses yeux ;