Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/275

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pas obéi à ton général ! Il imagine ainsi de faire trois coupables, dans l’impuissance d’en trouver un.

Le mal, le grand mal de la colère, c’est qu’elle ne veut pas être éclairée. La vérité elle-même l’indigne dès qu’elle éclate contre son gré : cris de fureur, tumultueuse agitation de toute la personne, trahissent son acharnement contre l’homme qu’elle poursuit, qu’elle accable de sarcasmes et de malédictions. Ainsi n’agit pas la raison, qui pourtant, s’il le faut, ira, calme et silencieuse, renverser, de fond en comble, des maisons entières, de puissantes familles, peste de l’état, sacrifier enfants et femmes, abattre et raser jusqu’au sol des murs odieux, et abolir des noms ennemis de la liberté : tout cela sans frémir de rage, sans secouer violemment la tête, ni compromettre en rien le caractère du juge dont le visage doit être calme, alors surtout qu’il applique les paroles solennelles de la loi. « A quoi bon, dit Hiéronyme, quand vous voulez frapper quelqu’un, commencer par vous mordre les lèvres ? » Et s’il eût vu un proconsul se précipiter de son tribunal, arracher au licteur les faisceaux, et déchirer ses propres vêtements, parce que ceux de la victime tardaient à l’être ? Que sert de renverser la table, de heurter du front les colonnes, de s’arracher les cheveux, de se frapper la cuisse ou la poitrine ? Quelle passion que celle qui, ne pouvant s’élancer sur autrui, se tourne contre elle-même ! Aussi les assistants la retiennent et la prient de s’épargner : scènes que n’offre jamais quiconque, ayant banni la colère de son cœur, inflige à chacun la peine qu’il mérite. Souvent il renvoie l’homme qu’il vient de prendre en faute, si son repentir est de bon augure pour la suite, s’il est visible