Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

voyant rire les autres ; que l’on s’attriste avec ceux qui pleurent ; que l’on s’échauffe à la vue de combats où l’on n’a point part. Mais ceci n’est pas de la colère, comme ce n’est point la tristesse qui fronce nos sourcils à la représentation d’un naufrage ; comme ce n’est point l’effroi qui glace le lecteur, quand il suit Annibal depuis Cannes jusque sous nos murs. Toutes ces sensations remuent l’âme malgré elle, préludes de passions, et non passions réelles. Ainsi le vieux guerrier, en pleine paix et sous la toge, tressaille au bruit du clairon ; ainsi le cheval de bataille dresse l’oreille au cliquetis des armes ; et ne dit-on pas qu’Alexandre portait la main à son épée, quand il entendait le musicien Xénophante ?

III. Aucune de ces impressions fortuites ne doit s’appeler passion : l’âme, à leur égard, est passive bien plutôt qu’active. D’où il résulte que la passion consiste, non à s’émouvoir en face des objets, mais à s’y livrer et à s’abandonner à une sensation tout accidentelle. Car si l’on croit qu’une pâleur subite, des larmes qui échappent, l’aiguillon secret de la concupiscence, un soupir profond, l’éclat soudain des yeux, ou toute autre émotion semblable, soient l’indice d’une passion, d’un sentiment réels, on s’abuse, on ne voit pas que ce sont là des phénomènes purement physiques. Il arrive au plus brave de pâlir, quand il s’arme pour le combat, de sentir quelque peu ses genoux trembler au signal du carnage ; le cœur peut battre au plus grand capitaine, quand les deux armées vont s’entrechoquer ; l’orateur le plus éloquent éprouve un tremblement dans tous ses membres, quand il se dispose à prendre la parole. Mais la colère va plus loin que ces simples mouvements : c’est un élan ; or, il n’y a pas d’élan sans