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LETTRES DE SÉNÈQUE

férents qu’il ne faut compter ni parmi les biens, ni parmi les maux, il n’aura pas besoin d’un conseiller qui, dans chaque cas particulier, lui dise : « Marchez ainsi ; soupez de cette façon î voilà ce qui convient à un homme, à une femme, à un mari, à un célibataire î » Les donneurs d’avis les plus empressés sont eux-mêmes hors d’état de les mettre en pratique. L’instituteur donne à son élève des préceptes de ce genre ; la grand’mère en donne à son petit-fils, et le pédagogue le plus emporté moralise contre la colère. Entrez dans une école, et vous verrez ces maximes, débitées avec tant de jactance par les philosophes, servir de matière aux thèmes des enfants.

Enfin, répondez-moi, vos préceptes seront-ils évidents, ou sujets à examen ? Il n’est pas besoin d’avis pour les choses évidentes ; on ne croit point celui qui donne des préceptes sujets à examen : il est donc superflu de donner des préceptes. Entendez ainsi ma pensée : Si vous donnez un précepte obscur et douteux, il faudra le soutenir par une démonstration ; si vous êtes obligé de le démontrer, vos preuves seront plus fortes que le précepte, et suffiront seules. « Voilà comment il faut agir avec son ami, avec un concitoyen, avec un allié. — Pourquoi ? — Parce que c’est justice. » La théorie générale de la justice m’enseigne tout cela : j’y trouve qu’on doit rechercher l’équité pour elle-même, sans y être forcé par la crainte, ni invité par les récompenses ; qu’on n’est pas juste quand on aime dans cette vertu toute autre chose qu’elle-même.

Lorsque je me suis persuadé, imbu de ces vérités, que me servent des préceptes qui m’enseignent ce que je sais ? Pour qui sait, les préceptes sont superflus ; insuffisants pour qui ne sait pas ; car il faut lui donner, non-seulement le précepte,