Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/347

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odieux visage. Mais, me dira-t-on, est-ce merveille, que trois sénateurs soient, comme de méchants esclaves, passés par les lanières et les flammes à la voix de l’homme qui méditait d’égorger en masse le sénat, et qui souhaitait que le peuple romain n’eût qu’une tête, pour pouvoir accomplir en un seul jour et d’un seul coup tous ses forfaits, que le temps et les lieux le forçaient d’accomplir en détail ? N’est-ce donc pas une chose inouïe qu’un supplice nocturne ? Le brigand seul assassine dans l’ombre ; la justice frappe en plein jour ; l’exemple alors corrige et profite mieux à tous. On va me répondre encore : « Ce qui cause tant votre surprise fait l’occupation journalière de ce monstre ; c’est pour cela qu’il respire, pour cela qu’il veille ; c’est à cela qu’il emploie ses nuits. » Certes, nul après lui ne se rencontrera qui ordonne d’enfoncer une éponge dans la bouche de ses victimes, pour y étouffer leurs dernières paroles. Défendit-on jamais à personne d’exhaler sa plainte avec sa vie ? Le tyran craignait qu’une voix libre ne sortît des tourments de l’agonie, et ne lui dît ce qu’il ne voulait pas ouïr. Il avait la conscience des horreurs sans nombre dont aucune ne pouvait lui être reprochée que par des hommes qui allaient périr. Comme on ne trouvait pas d’éponges, il commanda de couper les vêtements de ces malheureux, et de leur remplir la bouche avec les lambeaux. Barbare ! ne souffriras-tu pas qu’ils rendent au moins le dernier soupir ; donne passage à leur âme prête à s’échapper ; qu’elle puisse s’exhaler autrement que par les blessures.

XX. Ajouterai-je que les pères furent, la même nuit que les fils, égorgés à domicile par ses centurions, pour leur épargner, étrange miséricorde ! le deuil de leurs enfants.