Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/350

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le souvenir de cette disgrâce de la fortune. Tant qu'elle fut debout, les navigateurs passaient devant, sans la remarquer; aujourd'hui on demande la cause de sa ruine. S'il faut méditer ces exemples pour les fuir, imitons en revanche la douceur et la modération d'hommes qui ne manquaient ni de raisons pour entrer en colère, ni de pouvoir pour se venger. Rien n'était plus facile à Antigone que d'envoyer au supplice deux sentinelles qui, appuyées contre la tente royale, cédaient à l'attrait si périlleux, et si général pourtant, de médire du prince. Antigone avait tout recueilli, n'étant séparé des causeurs que par une simple toile. Il l'ébranla doucement, et leur dit: "Éloignez-vous un peu, le roi pourrait vous entendre." Le même, entendant quelques-uns de ses soldats vomir contre lui force imprécations, pour les avoir engagés de nuit dans un chemin fangeux et inextricable,- s'approcha des plus embourbés, et après les avoir, sans se faire connaître, aidés à sortir d'embarras: "Maintenant, leur dit-il, maudissez cet Antigone qui vous a si imprudemment jetés dans un mauvais pas, mais sachez-lui gré aussi de vous en avoir retirés."

Il supportait avec autant de douceur les sarcasmes de ses ennemis que ceux de ses sujets. Au siège de je ne sais quelle bicoque, les Grecs qui la défendaient, se fiant sur la force de la place, insultaient aux assaillants, faisaient mille plaisanteries sur la laideur d'Antigone, et riaient tantôt de sa petite taille, tantôt de son nez épaté. "Bon! dit-il, je puis espérer, puisque j'ai Silène dans mon camp." Quand il eut réduit,