Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/358

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pérance détruite ou ajournée, un tort envers nous, ou la préférence d’un autre pour ses intérêts, l’amitié qu’on porte à un tiers ou la haine pour nous. Nombre de gens ont de légitimes et même d’honorables motifs de s’opposer à nous : c’est un père, un frère, un oncle, un ami qu’ils défendent. Eh bien ! nous ne leur pardonnons point de faire ce que nous les blâmerions de n’avoir pas fait ; mais ce qui est pis, ce qui passe toute croyance, souvent nous applaudissons à un acte dont nous savons mauvais gré à l’auteur.

XXIX. Tel n’est point, certes, l’homme juste et généreux : il sait admirer chez ses ennemis ceux qui furent les plus braves et les plus dévoués pour le salut et la liberté de leur pays ; il demande au ciel des guerriers, des concitoyens qui leur ressemblent. Rougissons de haïr l’homme que nous estimons ; mais rougissons bien plus de haïr en lui ce qui doit lui mériter notre compassion. Faut-il en vouloir au captif, tombé soudain dans la servitude, s’il garde quelque reste de son indépendance, s’il ne court pas assez prestement au-devant d’un pénible et vil ministère ; si, alangui par l’oisiveté, il n’égale pas à la course le cheval ou le char du maître : si, fatigué de veilles multipliées, le sommeil l’est venu surprendre, et si, passant du service de la ville et de ses fêtes aux rudes journées de la campagne, il se rebute des travaux rustiques ou ne s’y livre pas avec ardeur ? Distinguons si c’est la force ou le vouloir qui manque : nous absoudrons souvent, quand nous jugerons avant de nous fâcher. Mais non, c’est le premier élan qu’on suit : on a beau reconnaître plus tard la puérilité de son emportement, on y persiste, on ne veut pas sembler avoir pris feu sans cause, et pour comble d’iniquité, plus la