Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/371

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XLIII. Que n’es-tu donc avare de ces jours si bornés ? Fais qu’ils soient doux à tes semblables et à toi-même : vivant, mérite leur amour, et leurs regrets quand tu ne seras plus. Cet homme agit à ton égard avec trop de hauteur ; et tu veux le renverser : cet autre t’assaille de ses invectives : tout vil et méprisé qu’il est, il blesse, il importune quiconque lui est supérieur, et tu prétends l’effrayer de ta puissance ? Ton esclave comme ton maître, ton protecteur comme ton client, soulèvent ton courroux ? fais-y trêve quelque temps : voici la mort qui nous rend tous égaux.

Souvent, parmi les spectacles qui égaient nos matinées d’amphithéâtre, on voit combattre, enchaînés l’un à l’autre, un ours et un taureau qui, après s’être mutuellement tourmentés, tombent enfin sous le bras qui leur garde le dernier coup. Ainsi font les hommes : chacun harcèle un voisin qui partage le poids de sa chaîne ; et l’espace d’un matin va finir la vie du vainqueur et du vaincu. Ah ! que plutôt le peu de temps qui nous reste s’écoule paisible et inoffensif, et que l’imprécation ne pèse point sur nos cendres ! Plus d’une querelle a cessé aux cris d’alerte qu’excitait un incendie voisin ; l’apparition d’une bête féroce termine la lutte du voyageur et du brigand. On n’a pas le loisir de combattre un moindre mal, lorsqu’une terreur plus grande nous saisit ? Qu’as-tu à faire de combats et d’embûches ? Peux-tu rien souhaiter à ton ennemi de plus que la mort ? Eh bien ! tiens-toi tranquille, il mourra sans toi. Tu perds ta peine à vouloir faire ce qui arrivera. Tu dis : « Ce n’est pas sa mort, mais son exil, ou son déshonneur, ou sa ruine que je désire. » Je t’excuserais plutôt de vouloir le bles-