Page:Sénèque - De la vie heureuse.djvu/22

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souvenir des débauches passées ; qu’elle dévore en espoir et déjà dispose celles où elle aspire, et, tandis que le corps s’engraisse et dort dans le présent, qu’elle anticipe l’avenir par la pensée. Elle ne m’en paraît que plus misérable : car laisser le bien pour le mal est une haute folie. Sans la raison point de bonheur ; et la raison n’est point chez l’homme qui néglige les meilleurs aliments et n’a faim que de poisons. Pour être heureux il faut donc un jugement sain ; il faut que, content du présent, quel qu’il soit, on sache aimer ce que l’on a ; il faut que la raison nous fasse trouver du charme dans toute situation. Chez ceux-là mêmes qui disent : « Le souverain bien, c’est la volupté, » le sage voit dans quelle place infime ils le mettent. Aussi nient-ils que la volupté puisse être détachée de la vertu ; selon eux, point de vie honnête qui ne soit en même temps agréable, point de vie agréable qui ne soit en même temps honnête. Je ne vois pas comment des choses si diverses se laisseraient accoupler ainsi. Pourquoi, je vous prie, la volupté ne saurait-elle être séparée de la vertu ? L’on veut dire, sans doute, que la vertu étant le principe de tout bien, elle produit, comme les autres biens, ceux que vous aimez et que vous recherchez. Mais si la vertu