Page:Sénèque - De la vie heureuse.djvu/86

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XXIV. On se trompe si l’on croit que donner soit une chose facile. Elle présente beaucoup de difficulté pour qui du moins donne avec réflexion, sans semer au hasard et par boutade. Ici j’oblige sans rien devoir, là je m’acquitte ; j’accours à la voix du malheur, ou poussé par la seule pitié ; je relève un homme qui ne mérite pas que la pauvreté le dégrade et le retienne dans ses entraves ; je refuse à d’autres, bien qu’ils aient besoin, parce que lors même que j’aurais donné, ils seront toujours dans le dénuement. Tantôt j’offrirai simplement, tantôt j’userai d’une sorte de pression. Puis-je montrer ici de la négligence, moi qui ne place jamais mieux que lorsque je donne ? « Quoi ! vous ne donnez que pour recouvrer ? » Dites mieux : pour ne pas perdre. Tel doit être le placement de nos dons, que nous n’ayons pas droit de réclamer, mais qu’on puisse nous rendre. Qu’il en soit du bienfait comme d’un trésor profondément enfoui, que l’on n’exhume qu’en cas de nécessité. Et la maison même du riche, quelle large sphère n’ouvre-t-elle pas à sa bienfaisance ! Car qui oserait n’appeler la libéralité que sur des hommes libres ? Faites du bien aux hommes, nous dit la nature ; esclaves ou libres, ingénus ou affranchis, affranchis