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Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/104

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pas entendu, il prononça la formule solennelle et pontificale, sans qu’aucun gémissement interrompit sa prière : le nom de son fils frappait son oreille, et sa bouche n’invoquait que le nom et la faveur de Jupiter. On pouvait prévoir le terme d’un deuil qui, au premier moment, dans ses premiers transports, n’avait pu arracher un père des autels de la patrie ni des hymnes de l’allégresse. Il était bien digne de faire cette mémorable dédicace, et digne du suprême sacerdoce, celui qui ne cessait pas d’adorer les dieux, même en éprouvant leur courroux. Il fit plus ; après que, rentré chez lui, il se fut abreuvé de ses larmes, qu’il eut ouvert passage à quelques sanglots, et rempli tous les devoirs d’usage envers les morts, son visage redevint le même qu’au Capitole.

Paul-Émile, vers le temps de ce glorieux triomphe où Persée, roi naguère si puissant, fut conduit enchaîné devant son char, donna en adoption deux de ses fils, et mit sur le bûcher ceux qui lui restaient. Quels fils s’était-il réservés, quand, parmi ceux qu’il avait cédés, il comptait Scipion ! Le peuple romain ne vit pas sans attendrissement le char du triomphateur vide de ses fils. Paul-Émile n’en harangua pas moins le peuple, n’en rendit pas moins grâces aux dieux de ce qu’ils avaient couronné ses vœux. Et quels vœux ! que si son éclatante victoire devait payer tribut à la fortune jalouse, ce fut aux dépens du général plutôt que de la république. Voyez tout son héroïsme à la mort de ses fils ; il va jusqu’à s’en féliciter. Quelle perte ! et pour quel homme devait-elle être plus affreuse ! consolateurs et appuis, tout à la fois l’abandonne : et néanmoins Persée n’a pas la joie de voir les pleurs de Paul-Émile.

XIV. Irai-je maintenant, parmi tant de grands hommes, vous