Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/167

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au coin de son foyer ces herbes et ces racines qu’il a arrachées en nettoyant son champ au retour du triomphe qui honore sa vieillesse ? Le croiriez-vous plus heureux, s’il chargeait son estomac d’oiseaux étrangers, de poissons venus de pays lointains ? s’il réveillait la paresse de son appétit blasé par les coquillages de la mer Adriatique et de la mer Tyrrhénienne ? s’il voyait servir sur sa table, parmi les fruits les plus exquis, des bêtes fauves d’une grosseur énorme, dont la prise aurait coûté bien du sang aux chasseurs ? Trouvez-vous Rutilius si malheureux d’avoir subi une condamnation qui sera l’opprobre de ses juges dans tous les siècles ? de s’être plus facilement résigné à être privé de sa patrie que de son exil ? d’avoir été le seul qui refusât la clémence du dictateur Sylla, lorsqu’au lieu de rentrer dans sa patrie, où 011 le rappelait, il se retira, que dis-je ? il s’enfuit dans une retraite plus lointaine ? « Qu’ils prennent leur parti, dit-il, ceux que ton bonheur a surpris à Rome ; qu’ils voient des flots de sang inonder la place publique ; qu’ils voient au-dessus du lac Servilius (c’était la tuerie des proscriptions de Sylla) les têtes des sénateurs ; qu’ils voient des troupes d’assassins errant dans la ville, et des milliers de citoyens romains égorgés dans un même lieu, contre la foi donnée, ou plutôt au piège de la foi donnée. Ce spectacle est fait pour ceux qui ne peuvent pas vivre en exil. »

Sylla est donc plus heureux, parce qu’à son arrivée dans le Forum le glaive écarte la foule sur son passage ; parce qu’il permet d’exposer en public les têtes des consulaires, parce qu’il fait payer par le questeur, et inscrire sur les registres publics, le prix de chaque meurtre, et qu’il ose toutes ces horreurs après avoir publié la loi Cornelia !