Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/220

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tenus dans le fourreau par la paix que je maintiens, je puis d’un signe les en faire sortir. Il m’appartient de décider quelles nations seront anéanties, transportées dans d’autres lieux, affranchies ou réduites en servitude* ; quels rois deviendront esclaves, quels fronts seront ceints du diadème,"quelles villes doivent tomber ou s’élever. Dans ce souverain pouvoir, ni la colère, ni la fougue de la jeunesse, ni cette témérité et cette obstination des hommes, qui épuisent souvent la patience des âmes les plus calmes, par la vanité cruelle, mais trop commune chez les dominateurs des nations, de faire éclater leur puissance par la terrer, rien ne m’a arraché d’injustes supplices. Chez moi, le glaive est reiifermé, ou plutôt captif, tant je suis avare de sang, même du plus vil. Le titre d’homme, n’eût-on que celui-là, suffit pour trouver faveur près de moi. Ma sévérité est couverte d’un voile, tandis que ma clémence se montre toujours à découvert. Je m’observe comme si j’avais à répondre de ma conduite envers ces lois que j’ai tirées de la poussière^ de l’obscurité pour les mettre au grand jour. Je suis touché de la jeunesse de l’un, des vieux jours de l’autre. Je fais grâce à la dignité de celui-ci, à l’humble condition de celui-là ; et lorsque je ne trouve pas de motif de compassion, c’est pour moi-même que je pardonne. Si les dieux aujourd’hui me demandaient compte du genre humain, qu’ils m’ont confié, je serais prêt à le leur rendre. » Oui, César, vous pouvez dire hautement que vous n’avez enlevé à l’État, soit secrètement, soit à force ouverte, rien de ce qui avait été confié à votre foi et à votre protection.