Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/282

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concours d’auditeurs, que tous ne peuvent l’entendre ; et pourtant il s’écrie : Quand les fêtes viendront-elles suspendre les affaires ? Chacun anticipe sur sa vie, tourmenté qu’il est de l’impatience de l’avenir et de l’ennui du présent.

(9) Mais celui qui n’emploie son temps que pour son propre usage, qui règle chacun de ses jours comme sa vie, ne désire ni ne craint le lendemain : car quelle heure pourrait lui apporter quelque nouveau plaisir ? il a tout connu, tout goûté jusqu’à satiété : que l’aveugle fortune décide du reste comme il lui plaira, déjà sa vie est en sûreté. On peut y ajouter, mais non en retrancher ; et encore, si l’on y ajoute, c’est comme, quand un homme dont l’estomac est rassasié, mais non rempli, prend encore quelques aliments, qu’il mange sans appétit.

(10) Ce n’est donc pas à ses rides et à ses cheveux blancs, qu’il faut croire qu’un homme a longtemps vécu : il n’a pas longtemps vécu, il est longtemps resté sur la terre. Quoi donc ! pensez-vous qu’un homme a beaucoup navigué, lorsque, surpris dès le port par une tempête cruelle, il a été çà et là ballotté par les vagues, et qu’en butte à des vents déchaînés en sens contraire, il a toujours tourné autour du même espace ? il n’a pas beaucoup navigué, il a été longtemps battu par la mer.

Chapitre VIII.

(1) Je ne puis contenir ma surprise, quand je vois certaines gens demander aux autres leur temps, et ceux à qui on le demande se montrer si complaisants. Les uns et les autres ne s’occupent que de l’affaire pour laquelle on a demandé le temps ; mais le temps même, aucun n’y songe. On dirait que ce qu’on demande, ce qu’on accorde n’est rien ; on se joue de la chose la plus précieuse qui existe. Ce qui les trompe, c’est que le temps est une chose incorporelle, et qui ne frappe point les yeux : voilà