Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/285

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ne doit pas couler toujours : hâtez-vous d’y puiser.

(3) Admirez comment, pour vous reprocher vos pensées infinies, le poète ne dit point, la vie la plus précieuse, mais le jour le plus précieux. Arrière, en présence du temps qui fuit si rapidement, cette sécurité, cette indolence, et cette manie d’embrasser, au gré de notre avidité, une longue suite de mois et d’années ! Le poète ne vous parle que d’un jour, et d’un jour qui fuit.

(4) Il ne faut donc pas en douter : le jour le plus précieux est celui qui le premier échappe aux mortels malheureux, c’est-à-dire occupés ; et qui, enfants encore même dans la vieillesse, y arrivent sans préparation et désarmés. En effet, ils n’ont rien prévu ; ils sont tombés dans la vieillesse subitement, sans s’y attendre ; ils ne la voient point chaque jour plus proche.

(5) Un récit, une lecture ou la distraction intérieure de leurs pensées, trompe les voyageurs sur la longueur du chemin ; et ils s’aperçoivent qu’ils sont arrivés, avant d’avoir songé qu’ils approchaient : il en est ainsi du chemin continuel et rapide de la vie ; dans la veille comme dans le sommeil, nous le parcourons d’un pas égal, et, occupés que nous sommes, nous ne nous en apercevons qu’à son terme.

Chapitre X.

(1) Ces propositions, si je les voulais soumettre à des divisions, à une argumentation en forme, me fourniraient cent preuves pour établir que la vie des hommes occupés est infiniment courte. Fabianus, non pas un de ces philosophes de l’école, mais un vrai sage à la manière antique, avait coutume de dire : « C’est à force ouverte, et non par des subtilités qu’il faut combattre contre nos passions. Pour repousser une telle milice, je n’approuve point les petites attaques, mais une charge impétueuse. Ce n’est pas assez de déjouer