Aller au contenu

Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

départies avec choix et réflexion, et non, suivant ton usage, jetées sans discernement ! »

Ajoutons, si vous voulez, à ces plaintes les regrets que vous laisse un frère d’un si beau naturel, enlevé dès ses premiers progrès dans la carrière. S’il était digne de vous appartenir, vous étiez bien plus digne encore de n’avoir à verser aucune larme sur le frère même le moins méritant. Tous rendent de lui un même témoignage : il manque à votre gloire, rien ne manque à la sienne ; il n’y avait rien en lui que vous ne fussiez fier d’avouer. Un frère moins excellent ne vous eût pas trouvé moins tendre ; mais votre affection, rencontrant dans celui-ci une plus riche matière, s’y est déployée avec bien plus de complaisance. Il n’a usé de son crédit pour nuire à personne ; il n’a menacé personne de son frère. Il avait pris exemple de votre modération ; il avait senti de quel honneur, mais aussi de quel fardeau vous chargiez les vôtres, et il a suffi à cette tâche. Impitoyable destinée, que ne désarme aucune vertu ! Elle a moissonné votre frère avant qu’il connût toute sa félicité ! Mon indignation, je le sais, est trop faible : il est si difficile de trouver des paroles qui expriment dignement les grandes douleurs ! Poursuivons toutefois nos plaintes, si nos plaintes servent de quelque chose. Demandons à la fortune : « Pourquoi tant de violence et tant d’injustice ? Pourquoi s’est-elle repentie si vite de son indulgence ? D’où vient cette cruauté qui se rue si brutalement entre deux frères, qui de sa faux sanglante tranche les nœuds d’une si douce et si solide concorde, qui bouleverse cette vertueuse famille de jeunes hommes, tous dignes l’un de l’autre, qui sans motif en abat la fleur ? Eh ! que sert donc une pu-