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Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/86

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cela dans un temps où c’était une grande marque de piété filiale que de ne pas se montrer dénaturé.

Cependant, à la première occasion et sitôt que les temps changèrent, le génie de votre père, vainqueur des flammes qu’il avait subies, fut par vous rendu au public ; vous l’avez vraiment racheté du trépas, vous avez réintégré dans les bibliothèques publiques les livres que cet homme de cœur avait comme écrits de son sang. Que ne vous doivent pas les lettres latines ? Vous avez tiré de sa cendre un de leurs plus beaux monuments. Que ne vous doit pas la postérité ? L’histoire lui parviendra pure de mensonge : franchise qui coûta cher à son auteur. Que ne vous doit-il pas lui-même ? Son nom vit et vivra dans la mémoire tant qu’on mettra du prix à connaître les annales romaines, tant qu’il se trouvera un seul homme curieux de remonter aux faits de nos ancêtres, curieux de savoir ce qu’est un vrai Romain, et ce que put être un mortel indomptable, un caractère, un génie, une plume indépendante, alors que toutes les têtes étaient sous le joug et tous les fronts courbés devant Séjan. Quelle perte pour la république, si ce génie, qu’avaient condamné à l’oubli ses deux plus beaux mérites, l’éloquence et la liberté, n’en eût été exhumé par vous ! On lit, on admire ses œuvres ; elles sont dans nos mains et dans nos cœurs ; elles ne craignent plus l’outrage des temps ; et ce qui reste de leurs bourreaux jusqu’à leurs crimes, seule célébrité qu’ils aient acquise, sera bientôt enseveli dans le silence.

Témoin de votre force d’âme, je ne vois plus quel est votre sexe, je ne vois plus ce front qu’obscurcit depuis tant d’années l’ineffaçable empreinte d’une première tristesse. Et remarquez