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Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/97

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êtes ici-bas en butte à tous les coups, et que les traits qui, percèrent les autres ont sifflé à vos oreilles. Figurez-vous une muraille, une redoute escarpée et toute couronnée d’ennemis où vous montez sans défense : attendez-vous à des blessures, et comptez que toutes ces flèches, ces javelots, ces pierres qui volent pêle-mêle sur votre tête, sont dirigés sur votre personne. En les voyant tomber derrière vous ou à vos côtés, dites d’une voix ferme à la fortune : Tu ne m’abuseras pas ; je ne me laisserai pas écraser par sécurité ou par négligence. Je sais ce que tu me prépares. Tu en as frappé un autre ; mais c’est à moi que tu en voulais.

Qui jamais considère ses biens en homme fait pour mourir ? qui ose un moment arrêter sa pensée sur l’exil, l’indigence, la mort de ce qui lui est cher ? qui de nous, averti d’y songer, ne repousse point de tels avis comme augures sinistres qu’il voudrait détourner sur la tête de ses ennemis ou du donneur d’avis intempestif ? — Je ne croyais pas l’événement possible ! Dois-tu rien croire impossible de ce que tu sais pouvoir arriver à tant d’hommes, de ce que tu vois arriver à tant d’autres ? Écoute une belle sentence qui méritait de ne pas se perdre dans les facéties de Publius :

Le trait qui m’a frappé peut frapper tous les hommes.

Celui-ci a perdu ses enfants, ne peux-tu pas perdre les tiens ? celui-là s’est vu condamner : ton innocence est sous le coup du même glaive. Ce qui nous aveugle et nous livre sans force à la douleur, c’est que nous souffrons ce que nous pensions ne devoir jamais souffrir. Le meilleur moyen d’ôter leur énergie aux maux présents, c’est de les prévoir dans l’avenir.