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qu’aux seconds, et que notre imitation de la littérature grecque est avant tout une imitation de la littérature latine. Il suffit de comparer attentivement les trois littératures pour s’en convaincre. C’est en copiant nous-mêmes les premiers copistes que nous avons reproduit les originaux ; c’est à Rome que nous avons pris Athènes, c’est par l’Italie que la Grèce nous est venue.

L’imitation des Romains et la nôtre une fois placées sur la même ligne, il s’agit de les qualifier toutes deux, et d’en trouver la raison : elle est tout entière, selon nous, dans les conditions mêmes de l’existence humaine, qui, considérée d’un point de vue élevé, se résume toujours en une œuvre synthétique, en une majestueuse unité ; trame savante qui se développe à travers le temps sous la main des générations. Sous d’autres rapports, cette unité du travail de l’homme est peut-être plus sensible ; en politique, par exemple, et en morale, on découvre plus facilement cette liaison des faits qui nous montre l’œuvre d’un peuple se poursuivant chez un autre peuple, la vie des anciens continuée par les modernes. Mais la même loi n’agit pas moins dans la littérature et dans l’art. La distraction seule empêche de l’y voir, et sans doute aussi l’erreur commune, qui, ramenant l’art pour ainsi dire à lui-même, prétend lui donner je ne sais quelle existence absolue et indépendante de la vie réelle des sociétés.

Séparé de toutes les circonstances qui l’inspirent et le modifient, retiré du temps et de l’espace, l’art n’a plus qu’une existence abstraite, vague et idéale. Mais, considéré comme l’expression d’une œuvre et d’une pensée,