Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/105

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fonde, se découvre une caverne immense aux flancs vastes et ténébreux, large route par où doivent passer toutes les générations humaines. L’entrée de cet abîme n’est pas entièrement obscurcie de ténèbres, on y trouve encore quelques rayons de la lumière qu’on a laissée derrière soi, et de pâles reflets d’un soleil blafard qui trompe la vue : c’est un demi-jour assez semblable à ce mélange de lumière et d’ombre qu’offre le crépuscule du soir, et celui du matin. À partir de là se déroulent des espaces infinis, dans lesquels toute la race humaine doit se perdre et disparaître. Il n’est pas difficile d’y pénétrer, la route elle-même vous conduit. Comme les courans emportent malgré eux les navigateurs, de même il y a là un certain courant de l’air qui vous presse de son poids ; l’avide Chaos vous attire, et les ténèbres venant à vous prendre ne vous permettent plus de revenir sur vos pas. Au centre de ce vaste abîme, coulent les flots pesans et paresseux du Léthé, qui portent avec eux l’oubli des maux de la vie ; et pour fermer aux Mânes le chemin du retour, ce fleuve tranquille étend partout ses mille bras en replis sinueux, imitant le cours bizarre et capricieux du Méandre, qui semble tantôt se chercher, tantôt se fuir lui-même, incertain s’il doit descendre à la mer, ou remonter vers sa source. Plus loin, s’étendent les eaux noires et dormantes du Cocyte. On n’entend là que le cri des vautours, le gémissement funèbre des hiboux, la voix sinistre de l’effraie. Là s’élèvent des forêts sombres et effrayantes que domine l’if funéraire : sous son ombrage se tient le Sommeil paresseux, la Faim tristement couchée à terre et la bouche béante, le Remords qui se couvre le