Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LE GARDE.

Que voulez-vous faire, enfin ?

ATRÉE.

Je sens fermenter dans mon cœur je ne sais quoi d’inoui, d’extraordinaire, et qui dépasse toutes les bornes de la nature humaine ; mes mains frémissent d’impatience ; je ne sais encore ce que c’est, mais c’est à coup sûr quelque chose de grand…… Oui, c’est bien ; emparons-nous le premier de cette idée. C’est un forfait digne de Thyeste, et digne d’Atrée ; chacun d’eux en aura sa part. Un repas abominable a été servi dans le palais du roi de Thrace…… C’est un crime horrible, je l’avoue, mais un autre l’a commis avant moi. Il faut que ma fureur imagine quelque chose de plus horrible encore. Philomèle et Procné, inspirez-moi. Notre cause est la même ; venez m’aider et conduire mes mains…… Il faut qu’un père déchire avidement et avec joie ses enfans, qu’il mange ses propres membres. C’est bien, c’est assez, ce genre de supplice me plaît, j’en suis content. Où est-il ? Mon innocence me pèse. Toutes les images du crime que je dois commettre sont déjà devant mes yeux, je vois ces enfans mangés par leur père. Mon âme, pourquoi ce retour de crainte ? pourquoi cette défaillance, avant le moment venu ? Allons, du courage ; d’ailleurs, ce qu’il y a de plus épouvantable dans ce crime c’est lui qui le fera.

LE GARDE.

Mais par quel artifice l’amènerez-vous dans vos filets ? Il craint tout parce qu’il croit que tout lui est ennemi.