Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/201

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ATRÉE.

Il serait impossible de le tromper, s’il ne cherchait à tromper lui-même. Mais il convoite mon royaume, et ce désir lui ferait affronter la foudre de Jupiter, ce désir le pousserait à travers les vagues d’une mer orageuse, et parmi les écueils des Syrtes d’Afrique ; ce désir, enfin, lui fera braver ce qu’il regarde comme le plus affreux des maux, la vue de son frère.

LE GARDE.

Mais qui lui garantira vos intentions pacifiques ? où prendra-t-il cet excès de confiance ?

ATRÉE.

Une coupable espérance est toujours crédule. Mais, au reste, je chargerai mes fils d’un message pour leur oncle ; ils l’inviteront de ma part à quitter la vie errante d’un exilé, pour échanger sa misère contre un palais, et partager avec moi le trône d’Argos. Si Thyeste s’obstine à repousser mes prières, elles toucheront du moins ses enfans, jeunes, sans expérience, fatigués de leurs malheurs, et faciles à tromper. Mais la vieille espérance qu’il a de régner, sa triste misère, ses rudes traverses, feront taire sa défiance, et fléchiront son âme quoique endurcie par tant de malheurs.

LE GARDE.

Les années lui ont déjà rendu ses peines plus légères.

ATRÉE.

Tu te trompes, le sentiment des maux s’aigrit par le temps. On supporte un malheur quand il arrive, mais le porter toujours est un supplice intolérable.