Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/23

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Mais ce n’était guère qu’une exception, comme chez nous ; et cela doit être, par la raison que l’actualité n’est jamais poétique : tandis que la distance et le temps donnent aux hommes et aux choses une réalité plus grande, une forme plus arrêtée, et que le poète, au lieu de créer ses personnages, fait mieux de les prendre tout faits dans la mémoire des hommes, et vivant d’une vie plus forte que celle qu’il pourrait leur communiquer.

L’appréciation du Théâtre de Sénèque par La Harpe nous paraît pleine de justesse et de mesure : il fait la part des beautés et des défauts avec une sage impartialité. « On y trouve en général, dit-il, peu de connaissance du théâtre, et du style qui convient à la tragédie. Ce sont les plus beaux sujets d’Euripide et de Sophocle, traduits en quelques endroits, mais le plus souvent transformés en longues déclamations du style le plus boursoufflé. La sécheresse, l’enflure, la monotonie, l’amas des descriptions gigantesques, le cliquetis des antithèses recherchées, dans les phrases une concision entortillée, et une insupportable diffusion dans les pensées, sont les caractères de ces imitations maladroites et malheureuses, qui ont laissé leurs auteurs si loin de leurs modèles.

« Il ne faut pas pourtant croire que les pièces de Sénèque soient absolument sans mérite : il y a des beautés, et les bons esprits, qui savent tirer parti de tout, ont bien su les apercevoir. On y remarque des pensées ingénieuses et fortes, des traits brillans, et même des morceaux éloquens et des idées théâtrales. Racine a bien su profiter de L’Hippolyte, qui est ce qu’il y a de mieux dans Sénèque.