Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/239

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à l’instant on pare les autels. Comment raconter dignement ce sacrifice abominable ? Lui-même attache les nobles mains de ses neveux derrière leurs dos, et ceint leurs tristes fronts d’une bandelette de pourpre. L’encens fume, la liqueur sacrée de Bacchus coule en libations, le couteau sépare le gâteau salé sur la tête des victimes. Rien ne manque à l’ordre prescrit pour les sacrifices, et ce crime affreux s’entoure de toutes les formes religieuses.

LE CHŒUR.

Et quel est le sacrificateur ?

LE MESSAGER.

Atrée lui-même : il prononce les prières funèbres, et de sa bouche cruelle fait entendre le chant de mort ; il est debout devant l’autel ; il touché les victimes, les dispose, en approche le fer, et cherche la place où il doit frapper. Aucune formule du sacrifice n’est oubliée. Soudain le bois sacré s’agite, le sol tremble, le palais tout entier chancelle et semble chercher la place où il doit tomber ; de la partie gauche du ciel une étoile s’élance et laisse derrière elle un noir sillon ; le vin répandu sur le brasier devient du sang ; le diadème s’échappe trois fois du front d’Atrée ; l’ivoire pleure dans les temples ; tous les habitans d’Argos pâlissent à la vue de ces prodiges : Atrée seul demeure inébranlable, et fait trembler les dieux qui le menacent. Tout à coup il s’élance à l’autel en jetant autour de lui des regards sombres et effrayans. Comme on voit dans les forêts de l’Inde un tigre hésiter entre deux jeunes taureaux, mesurer des yeux cette double proie que sa voracité convoite au même degré,