Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/269

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ma poitrine à force de coups. Arrête, malheureux ! épargne les ombres de tes fils. Qui jamais vit un pareil crime ? Quel sauvage habitant des roches inhospitalières du Caucase, quel Procruste, fléau de l’Attique, a jamais rien fait de semblable ? moi père j’écrase mes enfans, et mes enfans m’écrasent ! N’y a-t-il point de mesure dans le crime ?

ATRÉE.

On peut garder une mesure dans le crime, jamais dans la vengeance. J’ai trop peu fait encore pour la mienne. J’aurais dû baigner ton visage de leur sang lorsqu’il s’échappait de leurs blessures, et te le faire boire ainsi tout chaud et tout vivant. J’ai trahi ma vengeance en la précipitant. J’ai frappé tes fils de l’épée, je les ai immolés aux pieds des autels, comme des victimes expiatoires et dévouées : eux morts, j’ai mis leurs membres en pièces, je les ai coupés en petits morceaux ; j’en ai jeté une partie dans des chaudières bouillantes, j’ai mis l’autre à rôtir lentement devant le feu. Ils vivaient encore lorsque je coupais leurs membres et leurs muscles ; j’entendais leurs fibres mugir embrochées, et ma main attisait la flamme. C’est leur père qu’il fallait charger de ce soin. Ah ! ma colère s’est trompée. Thyeste a broyé ses fils sous ses dents impies, mais il n’en savait rien, mais eux ne le savaient pas.

THYESTE.

Écoutez, mers aux flottans rivages, et apprenez ce crime ; apprenez-le, dieux, où que vous soyez depuis que cet attentat vous a fait fuir ! terre, enfers, apprenez-le ! Sombre et affreuse nuit du Tartare, prête l’oreille à mes