Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/303

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âme de père prévoit déjà de grands malheurs ; les semences de ces prochains désastres germent dans la terre. L’accord qu’ils avaient fait est violé : l’un ne veut pas céder le trône où il s’est assis le premier, l’autre invoque son droit et les dieux garans du traité ; exilé de sa patrie, il arme contre elle Argos et les villes de la Grèce. D’effroyables malheurs vont tomber sur Thèbes : les traits, les feux, les blessures, et des maux plus grands encore, s’il en est, vont bientôt prouver à tous que ces deux enfans sont nés de moi.

ANTIGONE.

Si vous n’aviez pas d’autre raison de vivre, ô mon père, le désir d’interposer votre autorité paternelle entre ces deux fils égarés devrait être un motif suffisant pour vous y décider. Vous seul pouvez détourner l’orage de cette guerre impie, vous seul pouvez retenir la fougue insensée de ces jeunes hommes, donner la paix à vos sujets, le repos à votre patrie, la force au traité qu’ils ont violé. Refuser la vie pour vous-même, c’est la refuser à beaucoup d’hommes.

ŒDIPE.

Y a-t-il aucun respect filial, aucun sentiment de justice dans ces fils avides de sang, de puissance, de guerres, de perfidies, dans ces fils pervers, cruels, et, pour tout dire en un mot, dignes de leur père ! ils vont lutter de crimes ; rien n’est sacré pour ces âmes que la colère aveugle et précipite, et leur naissance criminelle fait qu’ils ne connaissent point de crime. Le malheur de leur père ne leur inspire aucun sentiment de pudeur ou de pitié, le sort de leur patrie ne les touche point. La passion de