Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/331

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respectez le royaume où vous voulez régner. Tu veux porter le fer et le feu contre ces palais ? Tu auras le courage d’ébranler les murs d’Amphion, qui ne sont point l’ouvrage de ces machines pesantes qui crient sous le fardeau qu’elles élèvent, mais dont chaque pierre est venue se placer d’elle-même jusqu’au sommet des tours, aux accords de la lyre et de la voix de ce chantre divin ? tu pourrais briser ces marbres dans ta victoire, t’en aller couvert de nos dépouilles, et emmener captifs des chefs dont les années égalent celles de ton père ? tes barbares soldats arracheraient les femmes aux bras de leurs époux, et les entraîneraient chargées de fers ? et parmi la foule des prisonniers, les vierges théhaines seraient conduites pour être données comme esclaves aux femmes d’Argos ? moi-même enfin, ta mère, me liera-t-on aussi les mains derrière le dos, pour m’emmener comme un trophée de ta victoire sur ton frère ? peux-tu bien voir sans douleur tes concitoyens massacrés partout sous tes yeux ? peux-tu bien approcher l’ennemi de ces murailles si chères ? remplir Thèbes toute entière de sang et de feu ? si ton cœur est si dur et si barbare, si cruel et si impitoyable, aujourd’hui que tu ne règnes pas encore, que sera-ce donc quand tu régneras ? je t’en conjure, mon fils, apaise dans ton cœur cette fureur insensée, et reviens à des sentimens plus doux.

POLYNICE.

Quoi ! pour errer toujours par le monde ? pour être sans patrie et réduit à mendier les secours d’un peuple étranger ? quel malheur plus grand pourrais-je attendre, si j’avais trahi ma foi, si m’étais parjuré ? Je porterai donc