Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/261

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au delà des mers ; et tous les Argonautes, sans parler du chef de ces chefs conquérants, pour lequel vous ne me devez aucune reconnaissance, et pour lequel aussi je n’en demande pas. J’ai sauvé tous les autres pour vous ; celui-là seulement, je l’ai sauvé pour moi-même.

Accusez-moi maintenant, et reprochez-moi tous mes crimes ; je les avouerai. Le seul qu’on puisse me reprocher, c’est le retour des Argonautes. Mais si j’avais écouté la voix de la pudeur et de l’amour filial, c’en était fait de la Grèce entière et de ses princes, et votre gendre devenait la première victime du taureau qui vomissait des flammes.

Quelque malheur que le destin me réserve, je ne me repens pas d’avoir sauvé la vie à tous ces fils de rois. Le seul prix que j’aie reçu pour tous mes crimes, vous l’avez en votre puissance. Condamnez-moi comme coupable si vous voulez, mais rendez-moi celui qui m’a rendue coupable : je le suis en effet, Créon, je le confesse ; mais vous saviez déjà que je l’étais, quand j’ai embrassé vos genoux, et que mes mains suppliantes ont réclamé votre protection auguste. Je ne vous demande qu’un asile dans ce royaume, un misérable coin de terre, une retraite obscure où me cacher. Si vous me bannissez de cette ville, ne me refusez pas au moins un abri éloigné dans l’étendue de vos états.

Créon

Je ne suis point un roi cruel, ni capable de repousser outrageusement la prière d’un malheureux, et je crois l’avoir assez clairement prouvé, en prenant pour gendre un fugitif en proie à tous les maux, et qui avait tout à