Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/283

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Où me renvoies-tu ? tu m’imposes l’exil, mais tu ne m’en indiques pas le lieu ; il faut partir, voilà ce qu’ordonne le gendre de Créon. Je consens à tout ; accable-moi des plus cruels traitements, je les ai tous mérités ; que le roi dans sa colère épuise toutes les cruautés contre la rivale de sa fille, qu’il charge mes mains déchaînes, qu’il me plonge dans l’éternelle nuit d’un cachot affreux, c’est moins encore que je ne mérite. Homme ingrat ! souviens-toi donc de ces taureaux à la brûlante haleine, de ces monstres effrayants qui glaçaient de terreur tes compagnons et toi-même, dans cette plaine d’où sortait une moisson furieuse de soldats armés, ces ennemis inattendus, nés de la terre, et qui, à mon commandement, périrent tous de la main les uns des autres. Rappelle-toi encore le bélier de Phryxus dont tu venais conquérir la riche dépouille, et le dragon vigilant forcé, pour la première fois, de céder à la puissance du sommeil ; et mon frère mis à mort, et tous les crimes résumés par moi en un seul crime, et les filles de Pélias abusées par mes artifices jusqu’à mettre en pièces le corps de leur vieux père qui ne devait point revivre. N’oublie pas non plus que, pour chercher sur tes pas un autre royaume, j’ai abandonné le mien.

Par les enfants que tu espères d’une nouvelle épouse, par le repos que tu vas trouver dans le palais de Créon, par les monstres que j’ai vaincus, par ces mains toujours dévouées à te servir, par les périls dont je t’ai délivré, par le ciel et la mer témoins de nos serments, prends pitié de ma misère, je t’en supplie, et rends-moi aux jours de ton bonheur le prix de mes bienfaits. De toutes