Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/67

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nel, et compte impunément ses fils et ses filles. Après elle, vient Agave, mère furieuse et dénaturée, suivie de la foule cruelle qui mit en pièces un de nos rois : le mal- heureux qu’elles ont déchiré marche sur leurs pas, et conserve encore l’aspect rigide et menaçant qu’il eut pendant sa vie.

Enfin, après des évocations réitérées, une ombre sort, le front voilé de honte : elle s’écarte de la foule et cherche à se cacher ; mais le vieux prêtre insiste, redou- ble ses conjurations infernales, et la force de se décou— vrir : c’est Laïus. Ce que j’ai à dire m’épouvante. Il St'. dresse devant moi, tout sanglant et les cheveux seuillés d’une affreuse poussière ; il ouvre la bouche avec colère et dit : a 0 famille de Cadmus , toujours cruelle, et tou- jours altérée de ton propre sang ! arme-toi plutôt du thyrse homicide, et déchire les membres de tes enfans, dans la fureur de Bacchus. Le plus grand crime de Thè— bes, c’est l’amour d’une mère pour son fils ! 0 ma pa- triel ce n’est point le courroux des dieux, c’est un for- fait qui te perd. Ce n’est point le souffle empoisonné de l’Auster, ni la sécheresse de la terre , dont la pluie du ciel ne vient plus tempérer l’ardeur brûlante, que tu dois accuser de tes malheurs ; mais c’est ce roi couvert de sang, qui a reçu, pour prix d’un meurtre abomina- ble, le sceptre et l’épouse de son père ; enfant dénaturé (mais moins encore que sa mère, deux fois malheureuse ’ par sa fécondité), qui, remontant aux sources de son être, a fait rentrer la vie dans les entrailles qui l’ont porté, et, par un crime qui n’a pas d’exemple parmi les animaux, s’est engendré à lui-même des sœurs et des