Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 3.pdf/189

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tache à l’autel, d’une main tremblante ; l’effroi le tue d’avance et ne laisse presque rien à faire à la vengeance d’Hercule. Mon père saisit ce corps défaillant et brisé par la peur : « O destinée ! s’écrie-t-il, voilà donc mon vainqueur ! Hercule périt de la main de lichas ! Mais, ô misère non moins déplorable ! lichas va périr de la main d’Hercule ! Il faut déshonorer tous mes travaux par le dernier. » A ces mots, lichas est lancé dans l’air, et son sang tombe en pluie du milieu des nuages : il est parti de la main d’Alcide comme la flèche de l’archer scythe ou crétois : mais nul trait ne pourrait s’élever aussi haut. Le corps tombe dans la mer, la tête sur les rochers, et ses débris sont semés en divers lieux.

« Arrêtez, dit Hercule, ce n’est pas la fureur qui me porte à cette violence, un mal plus affreux que la colère et la rage me dévore, c’est contre moi-même que je veux porter mes coups. » A peine a-t-il expliqué la cause de ses douleurs, qu’il se met à se frapper : il ravage son propre corps, et déchire d’une main cruelle ses membres vigoureux. Il veut se dégager de la tunique fatale : c’est la première fois que j’ai vu sa force impuissante ; mais, dans ses efforts pour l’arracher, il arrache en même temps sa propre chair : la robe fait partie de son corps, et son vêtement se confond avec sa peau. La cause de ses douleurs n’est point visible, mais on la juge par ses effets. Accablé par l’excès des maux, il frappe la terre de son visage ; il demande de l’eau, mais l’eau n’apaise point ses tourments. Il court sur la grève et se plonge dans la mer. La foule de ses serviteurs contient son aveugle emportement. O destinée cruelle ! notre force