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CLYTEMNESTRE.

Penser à un époux qui me laisse dans le veuvage depuis dix ans !

LA NOURRICE.

Songez du moins aux enfants qu’il vous a donnés.

CLYTEMNESTRE.

Je songe aussi à l’hymen de ma fille, à Achille qui dut être mon gendre, à la fidélité que mon époux m’a gardée.

LA NOURRICE.

Le sang de votre fille a levé les obstacles qui tenaient la flotte des Grecs enchaînée dans le port, et fait cesser le calme d’une mer immobile.

CLYTEMNESTRE.

O honte ! ô douleur ! moi, fille de Tyndare, moi, fille du ciel, j’ai donc enfanté la victime expiatoire qui devait favoriser le départ de leur flotte ! Je me rappelle l’hymen de ma fille, hymen digne des Pélopides, grâce à la barbarie de son père, qui ne craignit pas de se tenir en habit de sacrificateur, à l’autel funèbre qu’il appelait un lit nuptial. Calchas lui-même a frémi de l’oracle annoncé par sa bouche, et le feu qui devait consumer la victime s’est retiré d’horreur. O race coupable, qui fait oublier ses crimes par d’autres plus grands ! le meurtre a été le prix du vent, la mort le prix de la guerre.

LA NOURRICE.

Les dieux le voulaient, puisque les milles vaisseaux ont à l’instant déployé leurs voiles.