Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 3.pdf/307

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abattue sous le poids des chagrins et des maux, consumée d’ennuis, odieuse à mon époux, esclave d’une sujette, il est impossible que la vie me soit agréable. Mon âme est livrée à d’éternelles frayeurs ; ce n’est pas la mort que je redoute, mais le crime. Puisse-t-il n’avoir aucune part dans mon trépas ! je mourrai alors avec joie ; mais ce serait pour moi un supplice plus affreux que la mort même de voir le visage cruel et terrible de mon tyran, de souffrir les baisers d’un ennemi, de craindre tous ses mouvemens. Pourrais-je, avec le souvenir de mon frère assassiné, recevoir les caresses de son affreux bourreau, qui s’est emparé de son trône et jouit ainsi d’un trépas dont il est l’exécrable auteur ?

Que de fois l’ombre pâle de mon frère s’offre à mes yeux, dans le silence des nuits, quand le sommeil a clos mes yeux fatigués par les larmes ! Tantôt je vois ses faibles mains armées de noirs flambeaux ; il s’élance pour frapper au visage son indigne frère : tantôt il vient, plein de terreur, se cacher dans mon lit : son ennemi court sur ses pas, et, me voyant attachée à mon frère, il plonge son épée dans mon flanc. Alors le saisissement et la frayeur me réveillent en sursaut, et me rendent ainsi à mes douleurs et à mes transes perpétuelles.

Qu’on ajoute à ces maux une concubine orgueilleuse et parée de mes dépouilles, et pour qui Néron n’a pas craint de faire monter sa mère sur un vaisseau qui devait être pour elle la barque des morts, et de l’égorger ensuite après un cruel naufrage, mais sauvée de la mer, dont il surpassa lui-même la cruauté.

Quel espoir de salut me laisse un pareil crime ? mon