Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 3.pdf/59

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quilon pousse contre nous les neiges de la Thrace, l’Auster chasse devant lui les sables des Syrtes de Libye. Mais ce n’est pas assez : le Notus se charge de nuages, et la pluie du ciel augmente les flots de la mer ; l’Eurus ébranle tout l’Orient, il remue le royaume des Nabathéens et les rivages de l’Aurore ; l’impétueux Corus se lève du sein de l’Océan. On croirait que l’univers tout entier va être arraché de ses fondemens, que les dieux vont tomber du ciel brisé en éclats, et que le noir chaos va saisir toute la nature : le flux résiste au vent, le vent surmonte le reflux ; la mer ne peut plus se contenir dans ses rivages, et l’eau de la pluie se mêle aux vagues salées. Nous n’avons pas même, dans ce désastre, la consolation de voir et de savoir comment nous allons périr. Les ténèbres nous dérobent toute lumière, et une nuit pareille à la nuit du Styx nous enveloppe. Cependant quelques feux tombent par intervalle, des éclats de foudre déchirent les nues ; dans notre malheur, cette lumière sinistre est encore un bienfait, et nos yeux la saisissent avidement.

Cependant nos galères s’entre-choquent, leurs proues et leurs flancs se brisent les uns contre les autres. Des navires sont abîmés dans la mer qui s’ouvre pour les engloutir, et les rejette ensuite à sa surface ; d’autres coulent à fond sous leur propre poids. L’un appuie sur les eaux sa carène entr’ouverte et s’enfonce dans l’abîme ; cet autre, brisé, dépouillé de ses superbes agrès, flotte légèrement sur les eaux ; plus de voiles, plus de rames, plus de mât pour soutenir les antennes, il ne reste plus que la carène toute nue qui surnage au hasard sur toute