Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 3.pdf/79

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ni tes mains encore échauffées de l’embrasement de la flotte ennemie : des membres déchirés, des bras meurtris par le poids des chaînes, voilà ce qui reste de toi. Je te suis, Troïle, qui trop jeune encore te mesuras contre le fils de Pélée. C’est à peine, ô Déiphobe ! si je reconnais ton visage défiguré par ces blessures, présens de ta nouvelle épouse. Ah ! je me sens pressée de traverser les fleuves de l’enfer, de voir le cruel chien du Tartare, et le royaume de l’avare Pluton. Cette barque passera aujourd’hui deux âmes royales, l’une vaincue, et l’autre victorieuse. Roi des Ombres, et toi fleuve sacré qui garantis les sermens des dieux, je vous en conjure, entr’ouvrez un moment la voûte des enfers, pour que les mânes des Phrygiens se consolent en regardant Mycènes. Ombres malheureuses, voyez, et contemplez ce grand exemple des retours de la fortune.

Voici les noires sœurs qui accourent en agitant leurs fouets sanglans ; leur main gauche est armée de torches à demi brûlées ; leurs joues pâles se gonflent de rage, et un vêtement lugubre ceint leurs flancs décharnés. J’entends le bruit des nocturnes frayeurs ; les gigantesques os des Titans, rongés par la corruption, sont là gisans dans la fange d’un marais. Le vieux Tantale, épuisé de lassitude, ne cherche plus à saisir les eaux qui viennent se jouer autour de ses lèvres ; le meurtre qui s’apprête lui fait oublier sa soif. Je vois au contraire mon aïeul Dardanus qui triomphe et marche radieux.