Page:Sénèque - Tragédies de Sénèque, trad Greslou, ed 1863.djvu/14

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tences, il a dénaturé la simplicité de la scène grecque et troublé sa savante économie, il a eu cependant en propre quelques divinations dramatiques, du moins quelques artifices heureux et comme des pressentiments de la scène moderne. C’est à lui et non à Euripide que Racine a dû plusieurs beautés de sa Phèdre. Il y suit la marche de Sénèque, beaucoup moins étrangère à nos mœurs que celle d’Euripide. Dans Euripide, Phèdre ne déclare pas son amour à Hippolyte : les Grecs n’auraient pas souffert un pareil aveu ; c’est Sénèque qui en a conçu l’idée. Racine la lui a empruntée ; mais en l’imitant, il l’a embellie, c’est-à-dire appropriée aux mœurs et aux convenances du goût moderne. Le secret de Phèdre lui échappe malgré elle ; il n’est que le dernier degré du délire de la passion. Dans Sénèque encore, comme dans le poëte français, Phèdre finit par une mort volontaire, après avoir confessé son crime et rendu témoignage à l’innocence. Mais Racine a évité une circonstance qui eût choqué la délicatesse moderne ; il ne charge pas, comme l’a fait Sénèque, Hippolyte de punir Phèdre ; c’est Phèdre elle-même qui va au-devant du coup qu’elle mérite. On pourrait signaler beaucoup d’autres passages dans lesquels, en le corrigeant quelquefois, il est vrai, et le perfectionnant, Racine s’est servi des artifices ingénieux de Sénèque.

Sénèque, si je ne me trompe, peut, aujourd’hui plus que jamais, être utilement étudié par les auteurs dramatiques. La simplicité grecque, plus désirable que possible, est trop loin de nos mœurs et de notre goût, qui,