Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/87

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avons changé en état de peine et d’impatience cet état en

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quelque sorte neutre, mais heureux en son apparente nullité,
dans lequel s’écouloit presque toute la vie naturelle.
Parmi nous il n’est plus de milieu entre jouir vivement,
ce que la satiété, fruit de nos excès, nous rend d’ordinaire
impossible ou souffrir d’une manière navrante, soit par

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les vains regrets, soit par les alarmes inconsidérées, soit
par l’intolérable ennui, soit par les privations toujours
inévitables à qui desire toujours immodérément. Ainsi
l’homme social jouit aussi peu que souffroit peu l’homme
de la nature ; il souffre davantage que celui-ci ne jouissoit ;

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et de plus, ce bien-être que donnoit l’existence
simple sans plaisir déterminé, il l’a changé pour un état
pénible, plus cruel quelquefois que tous les maux positifs,
l’ennui de sa propre vie et le dégoût de toutes choses [S 1].


    bine et la fréquence et la force de ces sensations, la grandeur des
    besoins, la vigueur des organes ; chez l’un l’inquiétude de cent
    passions diverses, qui trouble ses plaisirs et dénature tout ce qu’il
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    possède ; l’insouciance de l’autre qui le laisse jouir pleinement,
    et sans même qu’il redoute le terme de sa jouissance. Qu’en un
    mot, on juge les choses dans leur vérité, et non sur les apparences
    qui nous préviennent, je pense qu’alors il ne restera plus
    de doute. Dans la somme des maux, la différence est si frappante
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    de ceux que la nature a fait à ceux que l’homme s’est donné,
    qu’il est absolument superflu de justifier ce qui en est dit ici.

  1. Il ne reste à l’homme des sociétés d’autre ressource assurée
    contre ce terrible fléau, qu’une occupation continuelle, qui soit
    nécessaire, obligatoire. Quand ses besoins, ou une profession une
    fois adoptée, le lui imposent, ses vastes desirs s’épuisent sur un
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    objet déterminé, sa pensée se porte au-dehors, il n’est pas fatigué

    169-70. l’état neutre en quelque sorte, mais heureux en cette apparente – 175-6. regrets et l’ennui, soit par les alarmes inconsidérées, soit par les privations. – 178-80. jouit moins, et souffre davantage que l’homme indépendant ; et de plus il a changé pour un état pénible, ce bien-être – 181-2. l’a remplacé par une situation plus cruelle quelquefois que les maux N. 8, l. 1-4. *Une ressource nous reste : c’est une occupation constante qui soit en quelque sorte nécessaire. Alors les vastes – 5. la pensée