Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 2.djvu/137

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s’étend dans l’espace, ne nous trompent sur les forces ou
sur l’importance de notre être, il y a des hommes aveugles :
un incident a détruit ces merveilles ; elles n’étoient ni
difficiles, ni utiles. Il y a des hommes ineptes, d’autres
sont grossiers, d’autres sont insensés. Les combinaisons|

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de l’être, et la moralité des mouvemens spontanés, la
grande pensée de l’univers est présente ; mais leur œil
est fermé. Cependant la nature subsiste. Si je suppose
qu’un moment arrive où elle n’est vue d’aucun, je juge
qu’elle subsiste néanmoins. Mais pourquoi les choses
sont-elles, si nul ne les voit ? Et néanmoins s’il n’y avoit
point d’hommes pour voir, quel changement cela feroit-
il ? Pour qu’il soit bon de voir, il faut que l’on agisse sur
ce que l’on voit : il n’y a que la force illimitée à qui la
connoissance convienne. De quelle manière cette force,
cette connoissance suscite-t-elle la force infirme et la
connoissance égarée qui est la vie ? La plante semble avoir
quelque intention, quelque sentiment. Mais les organes
de la plante sont grossiers. Le monde est visible devant
elle ; mais elle n’a presque rien pour chercher, ni pour
voir. L’animal possède un plus grand mouvement interne
et des organes plus mobiles : mais les analogies sont trop
reculées ; il écoute stupidement une lyre, il flaire inutilement
une rose. L’homme solitaire n’en sauroit pas davantage.
Tout dépend de l’impulsion ; c’est un chemin qu’il
faut faire, et il falloit que ce chemin fût préparé : c’est
l’impulsion de tous qui est nécessaire. Ôtez la parole,
l’homme n’est plus : et pour arriver à la parole, que de
siècles il aura fallu d’une industrie commencée
accidentellement et propagée ensuite ! Tout dans la nature est
livré à l’occurrence. Les forces sont toujours en mouvement ;
donc les chances seront toujours multipliées : mais|

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il n’y a point, ce semble, de destination absolue. La con-